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Billets Dumeur

Certaines personnes ne changent jamais !

Et pourtant chère lectrice, cher lecteur, le titre est trompeur, les préceptes premiers que j'essaie d'enseigner aux stagiaires psy qui vont m'endurer plusieurs mois, sont les suivants :

1. Les êtres humains sont imprévisibles.

2. Les êtres humains sont imprévisibles.

3. Tu ne peux pas deviner ni prévoir ce qu'un être humain est susceptible de faire.

4. Maintenant démerde toi dans la vie avec ton futur diplôme.

 

Force est de constater néanmoins, après 15 ans de carrière et 43 ans de côtoiement de l'espèce humaine, que des fois, des fois, je me laisse aller à un trop plein de confiance arrogante, à une supputation de ligne de conduite chez l'autre ; mesdames et messieurs, des fois j'avoue, je me laisse aller au profilage, à la devination et à la prévisibilitude des comportements humains. En général ça donne ça : "alors çui la, ça m'étonnerait un jour que ça change, il restera piteusement le même touteeeeeeeee sa vie, ou alors il va faire ça ça et ça tuuuuuuuuuuu le temps, indécrottable toussa, salut, au revoir". Bien évidemment quand on se targue des fois de faire de la spychologie raccourcie, il est des jours où on dérape et en général c'est pour casser du sucre sur le dos de ses congénères. C'est rarement plein d'espoir le profilage.

 

C'est toujours pour condamner l'autre.

 

Ca ne m'arrive pas souvent de supputer négativement l'attitude et le soi disant avenir des autres, surtout dans mon taf, mais dans le privé, s'il est une espèce que je croyais connaître sur le bout de doigt, dans toutes les langues, et surtout du côté des injures en portugais, c'est bien l'espèce dumeurienne.

 

Celle de laquelle je suis issue. Et la personne dont je vais vous parler ce jour, c'est celle dont je suis sortie, celle sans qui je ne serai rien et celle sans qui je suis tout, cet être profondément complexe, cette boule de femme autant capable de terrorisme psychique que de merveilles affectives, cette créature que j'adore et que je hais à la fois et à qui je porte les sentiments les plus violents et les plus bouleversants du monde : ma mère.

 

La mère Dumeur. Mal née il y a 70 ans, mal mariée, mal tout court depuis des décennies, pétrie de douleurs éternelles, sempiternelle hypocondriaque qui enceinte à l'âge de 15 ans, croyait que le truc qui grossissait son ventre était une tumeur cancéreuse. C'est dire depuis combien de temps ça dure. La mère Dumeur diabétique, insuffisante cardiaque, malvoyante, cassée à de nombreux endroits, balafrée du cerveau, scarifiée sur toute la surface de sa peau, faisant péter toutes les échelles de douleur dès qu'elle se retrouve à l'hôpital, c'est à dire 2 ou 3 fois par an.

 

La mère Dumeur qui un jour a appelé son médecin parce que ses pets sentaient mauvais, et qui a fait capituler ce même médecin, à l'aube de sa retraite avec son dossier médical de la taille de l'annuaire de la région parisienne, tant sa médecine ne lui servait à rien. Cette même mère Dumeur qui avant la pose de son défibrillateur, répondant en privé avec moi à des enquêtes sur l'impact de sa maladie sur sa qualité de vie, s'est mis d'un coup à faire voler les scores à l'approche du cardiologue dans sa chambre.

 

"Mets le maximum sur l'échelle, J'ai mallllllllllllll J'AI MAL DOCTORRRRRRRRRRRR J'AI TRÈS TRÈS TRRRRRRRRRES MALLLLL", sempiternel chant dumeurien avec main collée sur le front pour bien prouver que c'est insoutenable.

Voilà j'ai dépeint le tableau, restez, n'ayez pas peur, ça va devenir caustique.

 

Donc je la vois arriver au service de consultation externe de cardio, tout doucettement avec son tripode, baskets aux pieds (le médecin lui a dit de faire du sport), col roulé bleu canard sous pull orange vif, à moins que ce ne soit l'inverse. On ne s'est pas souhaitées la bonne année, c'était pas la peine, ça fait longtemps qu'elle n'y croit plus la mère Dumeur.

 

Et voilà que pour la visite du contrôle de son défibrillateur, on se retrouve la mère Dumeur, mon frère, le qualiticien du service et moi, à devoir lui faire passer ses foutues enquêtes sur la qualité de vie depuis la pose du machin sur son cœur, y compris l'appréciation sur sa vie sexuelle, où là d'entrée sans lui demander je coche dorénavant à sa place : "non concernée".

 

Oui parce que la mère Dumeur elle est malvoyante, elle est portugaise, et faut que ses enfants remplissent les trucs à sa place, même si bizarrement à la maison elle arrive à lire des petits caractères en français.

 

La mère Dumeur quoi.

 

On arrive à la partie : "sur une échelle de 0 à 100, 0 étant le seuil "je me sens proche de la mort", 100 "je me sens en parfaite santé", quel score mettriez-vous pour parler de votre état de santé actuel ?". Me voilà avec le crayon en train de chercher sur l'échelle s'il y a pas des graduations sous le "0", genre un "-50 seuil momifié, pourri, décomposé, cadavre zombifié", quand soudain j'entends : "mets moi un 100".

 

METS MOI UN 100.

 

Moi : "nan mais t'as pas compris la question, 100 c'est le plus haut score, c'est quand tu te sens en parfaite santé, attends je te répète tout là, t'as pas compris !!!".

"J'ai tout compris, 100 c'est bien, mets 100".

Moi roulant les yeux comme des billes, et me demandant s'il faut pas la coller tout de suite en neurologie, MA MERE EST EN TRAIN DE FAIRE UN AVC, ON LUI FAIT LES GAZ DU SANG TOUT DE SUITE, NFS CHIMIE IONO ON S’ÉCARTE !!!!! : "nan mais c'est pas possible maman, 100 c'est pas possible, MEME MOI JE SUIS PAS EN 100 C'EST PAS POSSIBLE !!!!".

 

Même moi je ne suis pas en 100 elle est bonne celle là hein ? Passons. Je la vois hésiter. Je vois le qualiticien blêmir et je l'imagine en train de se dire "merde elle est en train d'influencer les questions ça va me pourrir mes stats". Ben en même temps le questionnaire où ON PARLE DE LA VIE SEXUELLE DE SA MÈRE t'as qu'à le faire passer par quelqu'un de moins émotionnellement impliqué, hein MEC ?

Je lui laisse le score, je lui ai mis son 100 et j'ai demandé au qualiticien quand c'était possible que je m'en fasse poser un, de défibrillateur ? ça distille de la coke, du Xanax, du caramel, de la bière votre truc, ça marche comment au juste ? J'en veux un moi aussi bordel.

Un truc au cœur qui fait du bien au cerveau. Qui fait qu'on se sent en parfaite santé alors qu'on a un dossier médical qui a probablement contribué à la déforestation de l'Amazonie.

 

Demain sera un autre jour, peut être, mais là tout de suite la mère Dumeur elle m'a collée le doute. Un doute d'un genre nouveau qu'elle avait pas l'habitude de me coller dans les pattes, la mère Dumeur, elle qui m'a programmée pour l'hypocondrie et l'anxiété, et d'autres trucs un peu faisandés encore. Un doute teinté d'espoir et de sérénité avec lequel j'avoue, je ne sais pas composer. Elle m'a cassée tous mes préceptes moraux à son sujet la bourrique. Comment je fais pour la décoder maintenant, l'être que je connais depuis le plus longtemps sur cette planète hein ? Bordel faut toujours qu'elle fasse chier la mère Dumeur ! Allez mettons les projos sur elle, encore et toujours !

 

Ce qui est sûr, en tout cas, même si ça dure seulement deux jours, c'est que dorénavant quand je saoulerai mes futures stagiaires et les étudiants de psy avec mon savoir tout frais à base de réponses à la normande, je citerai la mère Dumeur dans mon discours.

 

Avec son échelle de 100 elle va passer à ma postérité.

 

(et je lui tire mon chapeau avec cette chanson)

 

 

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