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Billets Dumeur

David et madame Hansen

David-et-Madame-Hansen

 

Vous vous en doutiez peut être, cher ami lecteur, mais j’ai énormément de mal à dire du bien. Cela ne m’empêche pas de le penser, de le ressentir, et de l’acter, mais quand il s’agit de l’exprimer, par écrit ou à l’oral, d’un coup je me mets à bégayer des trucs bateaux comme « ouahhhh c’était drôlement bien ! » ou « j’ai bien aimé, oué c’était bien quoi ». Mon mari me le fait souvent remarquer aussi, à un petit mot tendre et dicté par des défenses abattues à son encontre, en général je riposte par une salve de saillies malignes. Je peux vous pondre des centaines de lignes sarcastiques sans problème, mais alors vanter les mérites de façon dithyrambique ça, ça devient sacrément ardu. Quelque part je pense que ce complexe de la flatterie dans le bon sens du poil doit trouver sa source intarissable en Dumeurie, sûrement que c’est depuis là que je puise tous ces bons mots moqueurs et orduriers qui crissent sous la dent, parce que là bas le sarcasme et le cynisme étaient une question de survie, et pour y parvenir il était hors de question de baisser sa garde.

 

Sa garde de fou.

 

Maintenant j’habite ailleurs certes, mais les vieux réflexes hérités en ces contrées continuent d’émerger de mauvaise guerre. Sauf. Sauf - heureusement il y a un toujours un « sauf » - sauf, quand il s’agit de la dévotion que je peux avoir envers l’espèce humaine, et surtout les personnes « fragilisées ». Là je me plie en quatre pour tenter de faire apparaître toutes les ressources pour qu’elles puissent s’aider, ces personnes là. Et forcément quand j’ai vu « David et Mme Hansen » ça m’a parlée, et j’ai senti qu’Alexandre Astier de son côté, oeuvrait dans le même but.

 

David est ergothérapeute et vient d’obtenir un poste dans une clinique. Dès la première réunion d’équipe, sont évoqués le planning d’activités de la journée et le cas de Mme Hansen. Aujourd’hui les soignants prévus pour accompagner cette richissime femme acheter des chaussures, ne sont pas disponibles. Cette tache va donc incomber à David, qui, avec sa fiancée et son beau-frère en compagnons involontaires, vont vivre une folle journée avec Mme Hansen…

 

Tout dans ce film me paraissait familier d’un point de vue professionnel. Sauf bien sûr et principalement l’échappée de David avec Mme Hansen, et sa façon peu académique de la sortir de son marasme psychique. En fait tout le meilleur ne m’était pas familier malheureusement car ce n’est pas demain la veille en France, que l’on traitera les personnes fragilisées et notamment les vieux de cette façon là. Avec empathie, originalité, risques, implication personnelle et tendresse. Avec ce je-ne-sais-quoi dont parle souvent Eric Fiat (dont je vous recommande hautement les interventions et la lecture de ses ouvrages), ce quelque chose hors sentier battu, inclassable et inimaginable à l’heure actuelle. Nous avons tellement perdu le sens de la vie dans ces structures de soin – et probablement dans nos sociétés occidentales en général – que la moindre petite découverte procurant une meilleure qualité de vie et un bien être relatif, se transforme en « machinthérapie » : arthérapie, culinothérapie (à ne pas avec cunilothérapie dans un autre genre), arômathérapie, zoothérapie… à une époque ça s’appelait prendre son pied à peindre, adorer cuisiner, se poupouiller avec des huiles essentielles, aimer câliner son chien, maintenant c’est de la « thérapie », et on en parle comme s’il s’agissait de sciences infuses, de découvertes géniales qui allaient révolutionner les pratiques et notre façon d’appréhender l’humain. Bien sûr des instituts de formation ont découvert le filon et en profitent pour dispenser du bon sens avec des mots savants, comme si tout cela n’existait pas avant, à des foules de soignants médusés d’être passés à côté de tout cela. Bon, au moins ont-ils le mérite d’exister ces instituts, et de réveiller tous ces sentiments enfouis au plus profond d’un nous-même écrasé par le quotidien et la routine, oui au moins ils ont le mérite d’exister, mais quand on en arrive à découvrir d’un air ébahi que traiter avec respect, amour, tendresse et liberté ces êtres que nous sommes censés accompagner, diminuent les « troubles du comportement » (ou ces comportements qui nous troublent) et provoquent un mieux être, c’est que vraiment, vraiment, un truc merde sérieusement et gravement en France.

 

Et peut être ailleurs aussi mais je ne sais pas comment ça s’y passe, ailleurs.

 

Des réunions d’équipe comme dans « David et Mme Hansen » j’en ai vécu des centaines. Projet d’accompagnement, projet de vie, projet personnalisé, accompagnement de vie sociale, tous ont des noms différents et parlent de la même chose : décider pour la personne ce qui est susceptible de lui faire du bien. Probablement l’équipe de la clinique a estimé bon et sain d’aller faire acheter des chaussures à Mme Hansen, cette personne que l’on décrirait « opposante » à des transmissions de soins, souffrant de troubles mnésiques et de passages à vide cognitifs, cette femme dépourvue d’histoire, qu’aucun personnel paramédical n’a semblé bon d’aller fouiller, décrite en symptômes négatifs et en troubles du comportement : Mme Hansen n’est qu’un diagnostic ambulant déshumanisé et recevant un traitement médical adéquat pour sa pathologie. Heureusement un être surgit du néant de cette réunion d’équipe et redonne un peu d’humanité en des termes peu protocolaires sur le « cas » de Mme Hansen : « elle bugue ! », défaussant complètement toutes ces blouses blanches de leur jargon professionnel et tellement sécurisant. Moi quand je me sens mal et prise en défaut, je sors plein de mots compliqués. Cet être c’est le psychiatre, le docteur Reiner, un de ces médecins qu’on aimerait croiser plus souvent et qui ne se complait pas dans sa branlette intellectuelle qui ne satisfait que sa petite personne, lui.

 

David pour le moment, reste encore dans sa bulle protectrice professionnelle, et quand, croyant bien faire avec son bouquet de fleurs – l’Enfer est pavé de bonnes intentions – il se prend un « et si tu te les foutais au cul ???? » par l’opposante Mme Hansen, on se dit que le ton est donné et qu’il va falloir utiliser une autre méthode. En l’occurrence, pas de méthode du tout : la liberté. David va mettre encore plusieurs scènes à comprendre cela, mais heureusement Mme Hansen va le mettre sur ce chemin et les deux en sortiront grandis. Vous n’avez pas idée du caractère liberticide des établissements de soins. Le pire ce ne sont pas les portes codées, les clôtures de parc ou les horaires de repas, le pire ce sont les protocoles, les procédures, les indices qualités, toutes ces normes qui empêchent de manger un œuf à la coque ou une huître sous peine de mort. Tout ce cadre normatif qui comptabilise les verres de vin par jour et les gâteaux secs pour diabétiques. Toutes ces peurs d’en sortir de ces limites qui font qu’il est inimaginable de garder ce tapis qu’on a acheté en voyage ou ce lit dans lequel on a passé sa nuit de noces, dans une vie lointaine, très lointaine. Car la vie y est lointaine, vraiment, elle a perdu tout son sens dans ces établissement en sigles et en initiales.

 

Même plus des mots entiers.

 

Moi je préférais « maison de retraite » mais non maintenant on dit EHPAD. Je crois que je suis devenue une vieille conne moi aussi. Alors quand j’ai vu David quitter sa blouse blanche mentale, chausser ses baskets argentées, et prendre par la main Mme Hansen, en sortant complètement de tous ces protocoles guindés dont on nous gave dans cette tentative de gestion de l’humain, je me suis sentie vengée et j’ai rêvé de ces endroits et de ces habitants et de tout ce qu’ils pourraient faire pour nous et de tout ce que nous pourrions faire pour eux, en échange. Car ne nous leurrons pas, ce sont eux qui nous font grandir, et tant que nous croirons en l’inverse et pas seulement d’une infime réciprocité, rien ne changera jamais vraiment. Quand les laisserons-nous nous bousculer ces êtres que nous disons fragilisés ?

 

Alors continuons à les contenir, à protocoler leur non vie, à gérer leurs comportements ; non, continuez à faire ça. Moi dans ma tête je pilote déjà une Lamborghini rouge à toute vitesse qui me fera sûrement sortir de la route. Quel bel accident de vie cela produira. Mais ce n’est pas comme si ces quatre dernières années je n’en avais pas connu plusieurs ?

 

 

Vous trouvez que je ne parle pas assez du film même si je n’ai fait que ça ? Arrêtez de lire des appréciations et faites-vous donc la vôtre, ça changera. Quoi vous êtes encore là ? mais courez donc voir « David et Mme Hansen » c’est vachement bien !

 

 

 

 

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